Témoignages de personnalités
Jetsun Pema, sœur du Dalai-Lama
Jetsun Pema est Membre d’honneur d’Aide à l’Enfance Tibétaine. Elle a présidé pendant 42 ans les Villages d’Enfants Tibétains (écoles TCV) à Dharamsala. La devise inscrite au fronton de ces écoles est " les autres avant soi-même ".
Jetsun Pema : Aide à l’enfance Tibétaine est une des fidèles associations de soutien aux Villages d’Enfants Tibétains. Au départ, l’AET a soutenu nos projets au Ladakh, puis a continué son aide à travers le parrainage d’enfants réfugiés tibétains. Je suis très heureuse de pouvoir dire que ces dernières années, le soutien de l’association aux parrainages n’a cessé de croître, et nous lui sommes très reconnaissants pour cette assistance opportune, tout spécialement à une période où nous continuons d’accueillir des centaines d’enfants qui arrivent du Tibet chaque année.
La coopération entre l’AET et le TCV s’est de plus en plus renforcée au fur et à mesure que l’AET décidait de soutenir des projets et des programmes spécifiques du TCV, de la fourniture de matériel pour les classes Montessori au financement de 4 bourses pour des étudiants venus se former en France à Niort, les uns à la boulangerie, les autres aux principes de l’assurance-santé pour mettre en place une mutuelle dans les TCV.
J’aimerais également saisir l’opportunité de cet entretien pour remercier et en même temps demander à tous les parrains, marraines et donateurs de l’AET, de bien vouloir maintenir leur intérêt et leur soutien à notre cause, de façon à ce que le travail de l’AET atteigne des hauteurs encore plus grandes dans les années à venir. Merci et Tashi Delek.
Irène Frain, écrivain
Irène Frain est marraine et Ambassadrice de l’AET.
Ils vivent très loin d’ici, dans des montagnes où je n’ai où je n’ai jamais mis les pieds. Ce sont mes filleuls. Chaque mois, par le truchement d’un modeste virement bancaire, je finance une partie de leur survie. Partout où je vais, je promène sur moi leur photo. A côté de celle de mes proches. Nous nous écrivons régulièrement. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais un jour, je le sais, j’irai les voir au Ladakh, sur le haut plateau désertique où ils vivent à plus de quatre mille mètres d’altitude, dans les camps de réfugiés que le gouvernement tibétain en exil a bâtis pour eux, avec l’aide de l’Inde et des dons d’associations telles que celle à laquelle j’ai adhéré.
Je sais aussi que ce jour-là, mon cœur et celui de mon mari battront plus fort qu’à l’ordinaire. Vous avez déjà compris que ce ne sera pas à cause de l’altitude. Socrate, en occident, l’avait le premier remarqué : l’acte de donner n’est pas seulement un geste moral, c’est une émotion où nous en disons, à notre insu, extrêmement long sur nous-mêmes. Ni mon mari ni moi ne sommes bouddhistes. Mais notre engagement envers ces deux réfugiés, c’est notre façon concrète de répondre aux barbaries contemporaines. En aidant à l’éducation d’un petit filleul tibétain, nous assurons, de façon certes minuscule mais aussi très concrète, la transmission et la pérennité de valeurs aussi menacées que l’air pur : la tolérance, le respect de la vie et de l’environnement. Repères essentiels, non seulement pour l’équilibre psychique des enfants dont c’est l’héritage culturel, mais pour la survie de l’humanité toute entière. Occupé et martyrisé, le Tibet n’est pas devenu un mythe, mais une région de notre âme : la partie de nous qui, en dépit des guerres, du matérialisme envahissant, de la marchandise-reine et de la pollution généralisée, continue à croire en la possibilité d’une harmonie entre l’homme et sa planète.
Idéalisme, persifleront certains. Pour ma part, aux effets de manche d’une belle dialectique, je préfèrerai toujours une naïve espérance qui permet de vêtir, nourrir, éduquer, ne fût-ce qu’un seul enfant. Et, au final, de le constituer en homme ou femme digne de ce nom. Quand je vois s’élargir, sur les photos qu’elle m’adresse, le sourire de ma filleule, ce n’est pas moi qui suis la donatrice. Je reçois – et au centuple – le fameux " lait de la tendresse humaine " dont parlait Shakespeare. Fabuleux cadeau d’émotions où tout s’emmêle : la joie du lien, l’enthousiasme, l’espérance retrouvée. Enfin, et surtout, le bonheur indicible de recommencer à croire en la beauté, en la force, en la grandeur de la simple humanité.Irène Frain.
Jean-Jacques Annaud, cinéaste
Pourquoi avez-vous décidé de faire un film sur le Tibet ?
J’ai rêvé d’Asie depuis mon adolescence. J’ai découvert le continent à travers le tournage de mon premier film orientaliste : L’Amant, d’après le roman autobiographique de Marguerite Duras, qui avait grandi au Vietnam. J’ai adoré le plat delta du Mékong. Mais après plus d’un an de vie là-bas j’ai senti qu’il me manquait la clé, la clé psychologique. J’ai donc cherché un sujet qui me permettrait de comprendre ce qui faisait fonctionner cette région fascinante. Je savais que je n’avais pas abordé l’essentiel, ce qui forme le ciment social, la pensée qui guide chaque décision de la vie quotidienne, en un mot : la spiritualité. J’ai vite compris que l’épicentre de cette pensée particulière se trouvait au Tibet, là où est la cime du Monde. On m’a donné à lire le récit de Heinrich Harrer, personnage détestable qui avait été touché et transformé par la grâce apprise au contact des Tibétains. Le sujet de la rédemption d’un occidental, ambitieux et vil, transformé par la sagesse traditionnelle du sommet de l’Asie m’a enchanté et décidé à consacrer cinq ans de ma vie à ce projet.
D’après vous, comment peut-on le mieux aujourd’hui répondre aux besoins des Tibétains ?
Quitte à déplaire aux idéologues, la seule manière de conserver la spécificité tibétaine est de charmer les Chinois. Que peuvent 6 millions de paysans et de théologiens économiquement démunis face à 1,3 milliards de Chinois agités par les vertiges du matérialisme et courtisés par les marchands du Monde ? La seule manière de survivre pour les Tibétains est de faire comprendre au géant voisin que le meilleur des fondamentaux de leur culture se trouve sauvegardé dans les monastères de l’Himalaya, préservé dans les modes de vie des rudes montagnards de Shigatze ou de Lhassa. Les autres options sont vouées à l’échec, et à la disparition de la plus belle des cultures humaines, la seule qui soit cohérente face à la désastreuse option mercantile anglo-saxonne.
Autre remarque de votre choix ?
Je ne suis pas religieux, je ne suis pas mystique, je ne suis pas croyant. En somme, je suis terriblement " raisonnable ", et aussi terriblement tibétain. C’est-à-dire terriblement pragmatique. Le bouddhisme tibétain n’est pas une religion, en tout cas pas un système de vie fondé sur un dogme fanatique. C’est une sagesse du bon sens, paisible et généreuse, celle dont l’absence est au cœur du chaos que nous léguons aux générations futures. Nous sommes plus que jamais en manque du Tibet.
Dagpo Rinpoche, Maître tibétain
Pouvez-vous nous dire comment la culture tibétaine perdure malgré l’exil ?
Les écoles, les monastères et les diverses associations artistiques jouent un grand rôle, mais le cadre familial est sans doute le lieu essentielpour que les jeunes conservent la langue et les valeurs traditionnelles.
Les valeurs de compassion ont-elles encore un sens dans notre monde actuel ?
En tout lieu et tout temps, la compassion est une qualité centrale et universelle, fondée sur le respect d’autrui. Au-delà des croyances, elle porte sur tous ceux qui souffrent, animaux comme humains. Notre monde actuel semble avoir le plus grand besoin de cultiver la compassion…
Ces valeurs peuvent-elles encore être enseignées ? Comment ?
Selon moi, il serait éminemment utile d’enseigner la compassion à tous, dès le plus jeune âge, avant tout au travers de l’exemple. Mais il faudrait aussi la définir avec précision, pour éviter les confusions. Selon le bouddhisme, la compassion porte sur les êtres qui souffrent et elle consiste à ressentir comme inacceptable cette souffrance, d’où le souhait que les victimes puissent y échapper et, à un niveau plus élevé, la résolution de les libérer de la souffrance.
Jean-Claude Carrière, écrivain, scénariste et dramaturge
Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez un jour décidé d’écrire un livre sur le Dalaï-Lama ?
Je venais de travailler plus de 10 ans avec Peter Brook, sur l’adaptation du Mahâbhârata indien. Je n’avais fait, en travaillant sur cette épopée hindouiste, que côtoyer le bouddhisme, que j’avais envie de mieux connaître. Ecrire un livre non pas "sur ", mais " avec " le Dalaï-Lama, est une occasion qui s’est offerte en 1993. Je ne pouvais pas espérer mieux.
D’après vous, comment peut-on le mieux répondre aux besoins des Tibétains ?
Par une mise en valeur de leur culture, d’abord, qui est toujours guettée par l’oubli comme toutes les cultures opprimées. Par une aide matérielle, aussi. Par une résistance systématique, et obstinée, auprès de tous les Chinois que nous rencontrons.
Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Il y a quelque chose de bloqué, d’une manière qui me paraît parfois puérile, dans l’attitude de la Chine au sujet du Tibet. Le pouvoir chinois ne semble pas percevoir l’immense avantage qu’il y aurait pour la Chine, à tous les points de vue, à reconnaître une certaine autonomie du Tibet. Mais cela viendra peut-être.
Kalon Tsering Dhundup, ministre
Monsieur le ministre, vous avez fait en octobre 2003 avec Jetsun Pema une tournée à Paris et dans nos délégations régionales. Qu'avez-vous retenu de cette expérience ?
Ce fut une tournée très instructive dans le sens où elle m’a fait découvrir une culture et des gens qui partagent cet univers avec nous et, découverte plus importante encore, elle a contribué à me faire prendre conscience qu’il y avait un nombre toujours croissant d’amis sincères de la cause tibétaine, pour laquelle ils œuvrent bénévolement.
Vous connaissez maintenant l'AET depuis longtemps. Comment nous suggèreriez-vous d'améliorer notre action ?
J’aimerais remercier l’AET pour le merveilleux travail accompli pour aider les Tibétains pauvres et dans le besoin toutes ces dernières années, en cette étape critique de l’histoire de notre nation. Je souhaiterais suggérer à l’AET de donner la priorité aux programmes de développement de notre communauté axés sur la formation des jeunes et le renforcement de leurs aptitudes professionnelles.
D'abord secrétaire d'état du ministère de l'Intérieur, puis maintenant ministre, vous êtes par vos fonctions au service des camps de réfugiés tibétains. Quelles sont actuellement les priorités de votre peuple en exil ?
Je voudrais d’abord apporter un éclaircissement et préciser que c’est Son Excellence le Kalon Tripa Samdhong Rimpoche qui possède le portefeuille de l’Intérieur. Toutefois, ayant travaillé comme secrétaire général du département de l’Intérieur un bon nombre d’années, je pense que leur priorité actuelle est de convertir le système de culture chimique en usage aujourd’hui dans les exploitations agricoles en culture biologique. Il s’agira aussi de maîtriser le flux migratoire des jeunes vers les grandes villes en leur donnant une formation professionnelle et en créant de nouvelles possibilités de travail à l’intérieur des camps où sont établis les Tibétains.
Faisons un rêve : vous apprenez que le Tibet devient soudainement indépendant et qu'il vous est possible de rentrer bientôt à Lhassa. Quel sera votre premier geste ?
Tout d’abord, Sa Sainteté le grand 14ème Dalaï Lama et le Gouvernement Tibétain en Exil ne revendiquent pas l’indépendance. Nous nous battons pour une véritable autonomie, qui évite de réclamer l’indépendance du Tibet, en échange de quoi les six millions de Tibétains jouiraient d’une autonomie significative. L’idée a été présentée très clairement en son temps et rappelée constamment au monde. Toutefois, si le Tibet devenait soudainement indépendant, comme vous dites, ce serait très certainement un grand moment historique pour nous tous. Oui, ma première réaction de toute façon sera de trouver comment entreprendre la prochaine tâche importante selon mes capacités, comme un Tibétain ordinaire.
Tsewang Yeshi, président des TCV
Monsieur Tsewang Yeshi a succédé en août 2006 à Madame Jetsun Pema comme Président des Villages d’Enfants Tibétains, les TCV. L’entretien complet figure dans le Tashi Delek n°60.
Voici près de 50 ans que vous collectez des fonds pour les TCV, en sollicitant l’aide internationale. Le nombre d’enfants du Tibet franchissant l’Himalaya pour venir dans vos écoles va croissant et l’on peut envisager dans l’avenir un afflux encore plus massif après les récents événements. De quels moyens disposez-vous pour y faire face ?
Du fait que nous sommes une organisation caritative, il nous a fallu dépendre presque totalement de la générosité et de la bonté de nos amis parrains et donateurs. Nous sommes profondément reconnaissants pour leur aimable prise en compte de notre situation, à laquelle ils ont su apporter des réponses et une aide si efficaces. Toutefois, l’irrésistible exode d’enfants et d’adolescents traversant les Himalayas pour être admis dans nos écoles (en moyenne 800 par an) non seulement requiert davantage de parrainages, mais aussi nous contraint à rechercher de l’aide et des solutions pour venir à bout d’une situation problématique d’accroissement des sureffectifs dans nos écoles. Quand bien même il y aurait une légère accalmie en ce moment à cause de la fermeture totale des frontières, nous sentons que c’est seulement une question de temps avant que le flux ne reprenne avec de bien plus grandes proportions. C’est évident après la crise récente au Tibet. En prévision de ce nombre croissant aussi bien que pour aider à diminuer le surpeuplement existant, des projets sont actuellement à l’étude pour construire plus de logements et de salles de classes aménagées dans notre école de Bir/Suja. Nous espérons que ces mesures se révéleront utiles et aideront de toute façon à tenir tête aux défis que nous allons rencontrer. Nous allons attaquer la construction à marche forcée.
Vous connaissez l’AET depuis longtemps. Quelles suggestions nous feriez-vous pour améliorer notre action ?
Nous sommes sincèrement reconnaissants à l’égard de l’AET, pour tout votre remarquable soutien à nos enfants et pour votre généreuse aide au financement d’une foule de projets, notamment au Ladakh. Vous avez toujours été très réactifs pour répondre à notre appel à l’aide. Il n’y a vraiment aucune suggestion à faire si ce n’est de vous prier de continuer à faire le bon travail que vous faites tous à l’AET. Toutefois, si vous pouvez faire quelque chose pour l’organisation de parrainages pour les nombreux jeunes adolescents du Tibet, quelque chose de différent, comme un parrainage collectif, en tenant compte de la difficulté de trouver un parrainage normal pour eux, nous serions très reconnaissants. Le nombre d’adolescents de cette catégorie est tout le temps en augmentation et par là un souci financier. Voyez, s’il vous plaît, quelle sorte d’aide serait envisageable chez vous à ce sujet.
AET / Aide à l’Enfance Tibétaine
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